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Etude 2011 – La « double pénalité » de la pauvreté

Publiée en mai 2011, cette étude a été conduite par le Boston Consulting Group, dans le cadre de sa contribution pro-bono à l’Action Tank, en février / mars 2011 et s’appuie sur l’enquête INSEE sur les revenus et la consommation des ménages en France de 2008.

L’idée même de « double pénalité » n’est ni nouvelle ni complexe : si la « pénalité principale » dont pâtissent les ménages pauvres réside dans la taille limitée de leur budget, la « double pénalité » consiste dans le fait que ces mêmes ménages pauvres payent parfois plus cher que d’autres ménages plus favorisés les mêmes biens et services, par unité de consommation.

Les objectifs de l’étude étaient les suivants :

  • Expliciter et quantifier l’impact de cette « double pénalité » sur le budget des ménages pauvres
  • Isoler les mécanismes sous-jacents constituant les facteurs explicatifs de cette « double pénalité » et identifier des leviers d’action susceptibles d’en atténuer les principaux effets
  • Sensibiliser les entreprises au rôle qu’elles peuvent jouer dans la mise en oeuvre de solutions.

Factualiser la double peine

L’analyse détaillée par poste de dépense chez les ménages pauvres montre que les dépenses contraintes (loyer/emprunt immobilier, charges d’habitations, assurances obligatoires, impôts) et nécessaires (alimentation, transport, communication, santé…) représentent en moyenne pratiquement 70% des revenus, le solde étant totalement absorbé par les dépenses dites « arbitrables » (habillement, loisirs, ameublement/entretien du logement).

En conséquence, la capacité d’épargne des ménages pauvres peut être, en moyenne, considérée comme nulle.

Quand on s’attache à déterminer le prix unitaire moyen d’un certain nombre de catégories de biens et services payés par un ménage type situé au niveau du seuil de pauvreté (18 500 € pour un ménage avec un enfant) et qu’on le compare aux prix payés par un ménage type se situant au niveau médian (environ 40 000 € pour un ménage avec un enfant), on trouve :

  • un prix du m2 (location annuelle) de 52€ (pour le ménage pauvre) contre 45€ pour le ménage médian
  • un prix du MWh de gaz de 89,6€ contre 84,9€
  • un prix de l’assurance habitation de 96€ / pièce contre 80€
  • un prix de l’heure de téléphone de 19€ contre 15€ (différence liée à l’utilisation de cartes pré-payées et non d’un forfait avec engagement de durée…)

Au total, un « coût global » de la « double pénalité » s’établissant entre 1000€ et 1100€ par an sur les 7 principaux postes de dépenses ayant fait l’objet d’une analyse détaillée ! Ce coût de la « double pénalité »  représente entre 9 et 10% du budget annuel de ces ménages, et doit être mis en perspective avec la capacité d’épargne quasi nulle évoquée précédemment.

Même s’il faut ajuster ce résultat à la taille réelle des populations (par exemple, toutes les personnes pauvres n’utilisent pas des cartes de téléphone pré-payées) et prendre en compte des mécanismes compensatoires (nos ménages-exemples ne bénéficient pas des tarifs sociaux), on peut certainement considérer que l’impact se chiffre en centaines d’euros par an pour des centaines de milliers de ménages pauvres ou proches des seuils (forcément artificiels) de pauvreté.

Les mécanismes sous-jacents à l’œuvre et leurs parades

Schématiquement, cinq facteurs permettent, dans la plupart des cas, d’expliquer ces phénomènes de « double pénalité » :

  • Structure de coût défavorable, le coût unitaire pour les entreprises étant supérieur pour les petites quantités (relativement à un ménage médian) consommées par les ménages pauvres : c’est typiquement le cas pour la téléphonie mobile où il revient plus cher de vendre des cartes prépayées chaque mois (coûts de distribution en particulier) que des forfaits pour un ou deux ans
  • Structure de prix défavorable, le mécanisme de tarification s’avérant pénalisant pour les petites quantités consommées par les ménages pauvres : c’est typiquement le cas du gaz où le m3 de gaz ne revient pas au même prix selon que vous consommez peu ou beaucoup de gaz en moyenne chaque mois lié au coût fixe de l’abonnement
  • Loi de l’offre et la demande, le prix du marché par unité s’avère pénalisant pour les petites quantités consommées par les ménages pauvres : c’est typiquement le cas du logement où le déséquilibre entre offre et demande renchérit le coût par m2 des petits appartements par rapport aux grands
  • Manque d’équipement (voiture / internet / banque) ou mauvais profil de risque, ce qui entraîne l’incapacité d’avoir accès aux produits ou aux segments d’offres les plus économiques consommés par les autres ménages : c’est le cas des assurances
  • Recul insuffisant pour gérer une information complexe ou imparfaite, ce qui occasionne des arbitrages inadéquats : c’est le cas du crédit consommation

Pour chacun de ces facteurs, il est possible d’identifier à la fois les principaux postes de dépense sur lesquels ils pèsent et aussi les leviers possibles pour en corriger les principaux effets : par exemple, la structure de prix défavorable pèse particulièrement sur certaines charges d’habitation (gaz) et peut se corriger par un ajustement de la politique de tarification pour faire en sorte que le niveau de marge sur coûts directs soit équivalent, que les quantités consommées soient faibles (clients pauvres) ou pas.